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Chapitre 5

Chapitre 5

Après un petit déjeuner frugal, Gustave se prépare à intégrer le premier cours de la matinée. Il consulte le planning que lui a donné Augusto : il commence par Sciences et Vie de la Terre : cours et travaux pratiques. Cela n’a jamais été sa matière préférée, mais il lui tarde de rencontrer ses autres camarades de classe et de comprendre comment marche cet internat de première classe, qui lui paraît toutefois si particulier.

Ils ne sont pas nombreux dans sa classe, seize tout au plus. Le jeune homme est heureux de constater qu’Heinrich et Gunther en font partie. Hier, après le repas, Augusto lui a expliqué que les filles étaient admises depuis plusieurs années, mais qu’elles étaient encore en minorité. Il y en a quatre dans leur classe, et Gustave remarque une brunette qui se tient à l’écart du trio de ses camarades. Ou bien est-ce elles qui s’éloignent ostensiblement ? Le regard insistant du garçon amène la brunette à se retourner, et elle le fusille du regard. Gêné, il se détourne et aperçoit une plaque stipulant le nom de la salle : salle Mengele 8.

Il reste dubitatif devant ce nom... n’est-ce pas l’appellation d’un nazi qui a torturé les prisonniers des camps de concentration ? Ce n’est pas possible, il doit avoir un homonyme, même si, tout de suite, il ne voit pas lequel...

Le cours commence, et il comprend rapidement qu’il s’agit bien du personnage historique détestable. La confirmation vient quand il lit l’intitulé du cours, noté soigneusement sur le tableau :

« La tannerie humaine, ou comment dépecer un corps en préservant sa peau ».

L’adolescent est stupéfait : dans quelle mesure ce choix d’enseignement peut-il être validé par la direction ? Il a l’impression que son cerveau est en pilote automatique alors que résonnent les premiers mots de l’enseignant. Pendant l’heure de cours, le professeur détaille la technique et la complète par des conseils pratiques : points d’incision, sens de la taille... Il explique aussi que la prochaine leçon sera consacrée à un autre procédé complémentaire : comment recycler la peau en fabriquant des accessoires.

Gustave a envie de vomir ! Sur les paillasses, des morceaux de corps sanguinolents sont posés, et, dégoûté, il remarque qu’Augusto dessine avec application des points en plusieurs endroits, reproduisant le schéma dessiné sur le tableau.

– Par ce biais, vous préservez la chair comme l’épiderme, pas de gâchis ! énonce le pédagogue fièrement, de sa voix de stentor.

L’adolescent atteint le summum de sa rage quand Augusto lui explique en aparté que sur le Darknet, les produits se monnayent à prix d’or.

Tout en Gustave est un cri silencieux : QU’EST-CE qu’il fait là ? Son père lui a appris à garder son flegme en toutes circonstances, mais intérieurement, tout son être hurle ! Ce n’est pas possible, il doit s’agir d’un bizutage ?

De nos jours, qui préconise un tel enseignement ? Pourquoi personne ne s’y oppose ?

Tout dans ce cours lui fait l’effet d’avoir été propulsé dans une dimension parallèle où, en proie à un tourbillon de pensées, il est incapable d’intégrer le contenu. Il se débat avec cette nouvelle réalité, entre colère et écœurement.

La sonnerie du lycée retentit enfin, mettant fin à son calvaire : la chevauchée des Walkyries, ne peut-il s’empêcher de remarquer tout en se précipitant à l’intérieur des toilettes placées en face de la salle. Gustave rend alors l’intégralité de son petit-déjeuner dans la cuvette. Il essuie les larmes qui maculent son visage et sort, étonné de constater qu’Augusto l’attend derrière la porte. Son camarade lui sourit piteusement :

– Ne t’inquiète pas, ça fait cet effet au début... Après on s’habitue.

– Quoi ? Mais comment tu peux t’y habituer ? Mais on est où ici ? Pourquoi on apprend ces trucs horribles, c’est glauque !

– Nous sommes dans les coulisses du pouvoir, Gustave : nous serons les dirigeants de demain. En tout cas, c’est ce qu’explique la prof d’histoire. Tu vas voir, c’est le deuxième cours.

– Et ? Quel est le lien ?

– Ben, pour se faire respecter, il faut aussi déjouer des complots et confirmer ton pouvoir de décideur. Pour t’imposer, il est nécessaire de passer par certains moyens... comme ceux-là.

Gustave ne peut plus se contenir. Il s’écrie :

– Mais tu es complètement endoctriné ma parole ! Tu te rends compte de ce que tu dis ? Et la loi, tu en fais quoi ? Moi, je ne souhaite pas devenir un monstre ! 

Inquiet, Augusto jette un regard autour de lui :

– Chut… tu vas te faire remarquer ! On en reparlera ce soir, loin des oreilles indiscrètes... Ils ne t’ont rien expliqué, tes parents, avant ta venue ? C’est pour cette raison que l’on est ici, tu sais maintenant ce qu’ils attendent de leurs pensionnaires. Ils cherchent LE meilleur d’entre nous ! Et si tu te fais repérer dans le mauvais sens, tout va se compliquer pour toi. Suis mon conseil : calme-toi et ne montre pas ton désaccord. Maintenant il faut y aller, cela fait un moment que nous sommes enfermés ici, on va finir par attirer l’attention sur nous. Suis-moi.

Le reste de la journée se passe dans une sorte de cauchemar éveillé : la professeur d’histoire, une espèce de petite femme sans âge et au chignon strict, détaille d’une voix monocorde le « règne » de Perón en Argentine et son hospitalité magnanime envers les différents bourreaux étrangers : nazis, fascistes, franquistes et barbouzes se sont retrouvés dans un pays de cocagne où ils ont été accueillis les bras ouverts.

– C’est grâce à eux que cette école a vu le jour, dit-elle avec émotion, et elle nous permet encore de transmettre leurs précieux savoirs.

Gustave est atterré par cette version de l’histoire : comment les autres élèves peuvent-ils acquiescer et s’enthousiasmer devant de tels propos ?

Mais au-delà de toute explication, il se demande pourquoi son père l’a envoyé dans un tel endroit...

 

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