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CHAPITRE 12

 

 

Le Boeing 767 d’American Airlines se posa à La Guardia à seize heures trente locales. Les formalités d’usage expédiées, Angela se rua vers la sortie et sauta dans le premier taxi venu.

 

New York…

 

À chacune de ses visites, cette ville la surprenait toujours autant, par sa démesure mais aussi par sa diversité. Angela eut tout le loisir d’admirer ce paysage urbain unique au monde durant le trajet vers le domicile de William Hartigan, et peut-être plus spectaculairement encore, lorsque le taxi emprunta le pont de Queensboro pour rejoindre la presqu’île de Manhattan. Vus de loin, les gratte-ciel découpaient leur géométrie élancée sur le bleu azur du ciel d’automne, dépassant telles de gigantesques flèches – ode à quelque moderne dieu urbain - la masse moins élevée et plus désordonnée de la ville. Le chauffeur eut le bon goût de prendre Franklin Roosevelt Drive au lieu de la 5e avenue passant en plein centre et toujours bouchée. Roosevelt Drive restait en bordure de la presqu’île, longeant l’East River. Angela put ainsi admirer quelques immenses porte-containers remontant majestueusement le fleuve, mais aussi des ferries, des remorqueurs, des bateaux de plaisance.

Au bout de quatre kilomètres, le taxi quitta la berge, bifurquant dans la 14e, puis sur Broadway, avant d’arriver dans Greenwich Village.

Hartigan habitait dans ce quartier si particulier - que d’aucuns considèrent comme le plus bel endroit aux États-Unis -, construit de vieilles bâtisses en briques rouges, par endroit découpé de rues étroites, de carrefours en virages et autres bizarreries très peu nord-américaines. Les habitants étaient bien sûr à l’avenant des lieux, originaux, bohêmes, artistes.

Le taxi déposa Angela à l’intersection de la 4e et de la 12e  Rue Est. L’appartement d’Hartigan se trouvait au dernier niveau d’un charmant petit immeuble carmin de quatre étages faisant l’angle des deux rues. La porte d’entrée en bois et verre, coincée entre un marchand de fleurs et une épicerie fine, s’ouvrit sous une simple poussée et la jeune femme escalada d’un pas alerte l’étroit escalier de bois menant au quatrième. William Hartigan vint lui ouvrir prestement. Un chaleureux sourire illuminait son beau visage.

– Salut, dit-il simplement.

Et il s’effaça pour la laisser entrer.

Angela déposa un baiser sur sa joue et pénétra dans le vaste appartement. Son propriétaire était un adepte du zen, aussi le mobilier était-il réduit à sa plus simple expression. Une méridienne d’origine orientale trônait contre un mur, près d’une cheminée. Une table basse de style sambu - sur laquelle était posée une théière japonaise - se trouvait juste à côté, chacun de ses pieds délicatement travaillé reposant sur un parquet en merisier patiné par les ans. Dans le mur adjacent, deux larges fenêtres à linteau offraient une belle luminosité, même par une fin de journée automnale comme celle-ci.

Après s’être déchaussée, la jeune femme fut conduite par son hôte vers le canapé. Ils s’assirent côte à côte et il lui servit le thé avec une grâce qui la ravissait à chaque fois, la renvoyant à ses souvenirs.

Elle avait rencontré William Hartigan durant ses études de journalisme. William était un des nombreux intervenants de l’université, mais ce qui l’avait frappée chez lui plus que chez les autres, outre sa notoriété déjà bien établie à l’époque et son physique avantageux, était la conviction qu’il mettait dans ses propos. William était un passionné, doté d’un charisme profond ; chacune de ses paroles avait un impact certain sur la plèbe étudiante, et plus particulièrement chez ses représentantes féminines.

Angela avait trouvé prétexte à le rencontrer à la fin d’une de ses conférences. Son physique avait fait le reste.

Ils avaient eu une liaison aussi brève qu’intense, mettant dans l’amour physique ce qu’ils ne pouvaient s’offrir sur le plan sentimental. Puis Angela avait reçu son diplôme, et ils étaient partis chacun de leur côté, le cœur un peu barbouillé, mais l’âme en paix, comme deux êtres qui se savent ne pas être faits pour les relations durables. Ils étaient restés cependant en contact, William lui faisant profiter de son expérience telle une sorte de mentor durant les six années suivantes.

Ils ne se voyaient que très rarement, mais leurs retrouvailles étaient à chaque fois une parenthèse joyeuse qu’ils célébraient telle une ode à la vie, aux sens et à l’amour sans lendemain.

– C’est bien que tu sois venue, fit-il en lui caressant le genou.

– Je suis contente d’être là. D’un autre côté, je n’ai pas eu vraiment le choix.

– Que veux-tu dire ?

– Il y a un contrat sur ma tête à Juarez.

William marqua un temps d’arrêt, se contentant de la fixer gravement de ses yeux clairs. Il lui prit la main et la caressa doucement.

– Je suis désolé.

– Pas autant que moi. J’ai dû fuir comme une fugitive, la peur au ventre, sans même pouvoir repasser par chez moi et prendre mes affaires.

– Ce sont les risques du métier, finit-il par dire presque pudiquement.

– Tu as connu ça, toi ?

– À peu de chose près, oui. J’ai dû quitter précipitamment la Guyane française un jour, suite à une enquête sur l’exploitation aurifère. Mes investigations avaient touché un point sensible : la pollution au mercure et ses effets catastrophiques sur la faune, la flore et les Indiens. Les orpailleurs avaient décidé de me faire la peau.

Il se pencha vers elle et plongea ses yeux dans les siens.

– Parle-moi de ton enquête.

Durant plus d’une heure, Angela raconta ce qu’elle avait vécu à Juarez, les meurtres non résolus dont les autorités se fichaient éperdument, l’exploitation de la main-d’œuvre féminine par les maquilladoras, les flics corrompus, la guerre des gangs, la violence endémique. William se contenta d’écouter, hochant la tête de temps à autre, posant à certains moments une question sur un sujet ayant besoin d’être éclairé. Lorsqu’elle eut terminé, la nuit était tombée. Le journaliste se leva pour aller jeter quelques bûches dans la cheminée. Puis il alla préparer le dîner.

Angela resta seule au coin du feu, les genoux ramenés contre sa poitrine, le regard perdu dans le vide. Devant elle, les flammes dansaient dans l’âtre ; elle sentait la chaleur picoter agréablement sa peau, mais seul son corps en profitait. En cet instant, aucun feu ne pouvait réchauffer son âme.

Ils dînèrent en parlant peu, n’effleurant que des sujets banals. Malgré l’envie qui la taraudait, Angela ne demanda pas à son compagnon pourquoi il l’avait faite venir à New York. Elle le connaissait assez bien pour savoir qu’il ne fallait pas brusquer les choses.

Le repas terminé, ils prirent place devant la cheminée. William servit un digestif, puis lui conta son cheminement intellectuel depuis leur premier échange téléphonique. Le coup de téléphone d’Angela avait avivé sa curiosité. Ayant un peu de temps libre puisqu’il venait de boucler son livre sur l’industrie pharmaceutique, il s’était donc intéressé aux Skull and Bones, sur lesquels il n’avait rien découvert d’autre que ce que tout le monde savait déjà, à savoir que c’était une confrérie d’anciens élèves de Princeton, appartenant tous à d’illustres et richissimes familles américaines et dont les membres gravitaient dans les cercles politiques et affairistes de la nation. En revanche, les messages de Ö l’avaient intrigué. Apparemment, il existait un rapport entre les deux, une sorte de lien dont l’enquête d’Angela à Juarez semblait être le point de convergence. Si ce que lui susurrait son intuition se révélait exact, les implications qu’il pressentait pourraient être… intéressantes.

À mesure que William développait son argumentation, la jeune femme sentait l’excitation la gagner peu à peu. La peur également, car s’il avait raison, ils pourraient bien avoir débusqué quelque chose d’énorme. Et de dangereux ; elle venait d’en avoir un avant-goût. Or,William Hartigan possédait un flair d’investigateur qui était plutôt légendaire dans son domaine. Il avait pris rendez-vous avec son mystérieux contact pour le lendemain matin. Elle voulut en savoir plus, mais la façon qu’eut soudain William de la regarder, ainsi qu’un sourire très révélateur, lui fit comprendre que la discussion venait de prendre fin et qu’il était temps de passer à des choses plus intimes. L’excitation intellectuelle d’Angela s’incarna plus physiquement lorsque son amant occasionnel l’attira doucement à lui et plongea son regard magnétique dans le sien. Ses grandes et belles mains douces épousèrent alors les courbes harmonieuses de son corps. Ils s’embrassèrent tout d’abord doucement, puis, à mesure qu’ils s’échauffaient, de plus en plus passionnément. Angela sentit bientôt un désir violent, irrépressible, s’emparer d’elle. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas fait l’amour. Jusqu’à cet instant, elle n’avait pas réalisé à quel point cela lui avait manqué. Elle avait également besoin d’exorciser ces derniers mois d’horreur et de frustration dans un échange physique intense ; elle avait besoin d’un homme parfaitement accompli, en pleine maturité, sachant lui rappeler qu’elle était une femme éminemment désirable, sachant jouer de son corps à la perfection. Elle devait reconnaître que William était un partenaire idéal pour cela.

Leurs cœurs battaient au rythme de leurs désirs lorsqu’il la prit délicatement par la main et l’entraîna vers la chambre.

 

La nuit fut courte, mais néanmoins réparatrice. Lorsqu’ils sortirent de l’appartement, il faisait encore sombre. Les premiers rayons du soleil levant les surprirent sur la route du sud à la sortie de New York, en direction d’Atlantic City. L’Aston Martin ronronnait d’une puissance feutrée, le feulement du V12 les berçant langoureusement au rythme des panneaux indicateurs annonçant les sorties vers Red Bank, Asbury Park, Lakewood et Tuckertown.

Moins de deux heures après leur départ, ils bifurquèrent vers Atlantic City. Ils avaient rendez-vous sur le port de plaisance, mais comme ils étaient un peu en avance, William offrit à sa compagne d’aller prendre un café. Ils garèrent l’Aston sur le parking du port et partirent à pied sur Boardwalk, la promenade du front de mer. Ils ne tardèrent pas à tomber sur l’inévitable Starbucks. Angela, peu habituée à la fraîcheur matinale de la côte Est en automne, était frigorifiée, aussi entrèrent-ils dans le café, sacrifiant le manque d’authenticité à la chaleur bienvenue d’un lieu par trop standardisé. Le breuvage brûlant leur fit du bien et c’est d’un pied ragaillardi qu’ils repartirent vers le port. Ils avaient rendez-vous sur le quai D. William ouvrit le portillon et laissa galamment passer sa compagne – tradition en perte de vitesse aux États-Unis qu’apprécia Angela d’un sourire – et ils déambulèrent comme des amoureux, main dans la main, sur le ponton de teck délavé par les intempéries. Ils arrivèrent devant l’emplacement numéro cent vingt huit, endroit choisi pour leur rencontre par le mystérieux contact de William. Un beau voilier en bois d’une dizaine de mètres de longueur flottait majestueusement le long de son catway.

– Ohé, du bateau ! cria William.

Ils entendirent du remue-ménage dans la cabine. La première chose qu’ils virent, fut un sombrero de près d’un mètre de diamètre émerger du roof, bientôt suivi d’un homme dans les mêmes proportions. Zed Kappa était un grand gaillard de près de deux mètres de haut, que l’on aurait vu plus sur un terrain de basket en train de faire des paniers que derrière le clavier d’un ordinateur. Car Zed était hacker de son état. Et l’un des meilleurs au monde.

– Super le chapeau ! ne put s’empêcher de lancer William.

– Les satellites, dit Zed d’un air énigmatique en pointant un doigt vers le ciel.

Devant l’air surpris d’Angela, il poursuivit sa diatribe surréaliste.

– Vous êtes déjà très probablement repérés et sous surveillance de la NSA. Je ne veux courir aucun risque.

– Tu crois ? rétorqua William un rien sarcastique.

– Persifle, Hartigan, mais je suis certain de ce que j’avance.

– Prouve-le, lança William, provocateur.

– En temps et en heure. Montez, nous partons, dit le géant tout en faisant demi-tour vers la cabine.

 

Le sloop voguait paresseusement au gré d’une petite brise d’est à quelques encablures de la côte. L’air était vif, un brin piquant et la réverbération déjà forte, malgré l’heure matinale. Ils avaient tous enfilé des vestes de ciré, chaussé leurs lunettes de soleil. Zed tenait la barre. À sa façon de lever les yeux vers les voiles, d’observer la girouette en tête de mât donnant la direction du vent, de poser nonchalamment sa main sur le bois patiné de la barre franche, Angela devina qu’il était, si ce n’est un marin accompli, du moins très à l’aise à bord d’un voilier.

Cet homme paraissait étonnant à plus d’un égard. Un peu plus âgé qu’elle – elle lui donnait dans les trente-cinq, trente-six ans, il semblait déjà blasé par la vie. Mais ce n’était qu’une apparence qu’il se donnait ; Angela allait bientôt s’en rendre compte.

– Ainsi c’est vous Ellie, lança-t-il d’un air mi-amusé mi-énigmatique en tournant sa grosse tête vers la jeune femme.

– Pardon ?

– C’est comme ça qu’on vous appelle dans la Communauté.

– La Communauté ?

– C’est comme ça qu’on appelle notre petit gang de hackers. William ne vous a pas dit ?

– William ne m’a rien dit du tout.

– M’étonne pas. C’est pas le genre à déblatérer sur ses sources. C’est pour ça que c’est mon pote, dit-il avec un large sourire découvrant ses dents parfaites.

– On est dans un jeu de rôles, c’est ça ? rétorqua Angela.

– Presque ma belle, sauf qu’ici, les méchants n’ont rien de virtuel !

– Bon, résumons, reprit-il. Le dimanche 5 octobre, à zéro heure zéro minute, vous recevez dans votre boîte mail un message signé « Ö ».

– C’est exact.

– Quarante-huit heures plus tard, Ö récidive, sauf que vous n’êtes plus la seule destinatrice, puisque son message est reçu par tous les internautes de la planète.

– Quoi ? Tous les internautes de la planète ? Tu en es certain ? manqua de s’étrangler William.

Zed se contenta de le fixer sans rien dire durant quelques secondes.

– Bon, d’accord, renchérit le journaliste. Mettons que je n’ai rien dit et que ce soit un fait indiscutable.

– C’est un fait indiscutable, grogna Zed. La Communauté ne se trompe jamais, Hartigan, tu le sais très bien.

Zed vérifia la girouette d’un bref coup d’œil avant de reprendre son exposé.

– Vingt quatre heures plus tard, un troisième message est envoyé dans le cyberespace par Ö, adressé à peu ou prou trois milliards de personnes.

– Trois milliards de personnes ? souffla Angela.

– Oui m’dame, c’est en gros le nombre des internautes sur notre planète. Et tout ça en moins de vingt quatre heures.

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Qu’est-ce que ça veut dire ? ricana Zed. Oh, c’est très simple : personne ne peut faire ça. Ö n’est pas un être humain.

– Quoi ? s’écria Angela.

– C’est pour ça qu’on vous a appelé Ellie, en référence au personnage joué par Jodie Foster, dans le film Contact. Elle est la première à découvrir un message extraterrestre.

– Durant quelques instants, Angela resta sans voix.

– Vous croyez que…j’ai été contactée par un extraterrestre ?

– Je ne crois rien du tout, Beauté. La Communauté croit. Et la Communauté a toujours raison.

Il reprit après une courte pause.

– Mais je n’ai pas dit qu’il s’agissait d’un ET. J’ai simplement dit que Ö n’est pas un être humain.

– Alors c’est quoi, une machine, un super-ordinateur ?

– Hon hon, aucune technologie humaine ne peut faire ça.

– Ellie… pardon… Angela, se reprit-il sans même sourire, une soudaine gravité dans la voix. Certains, dans la Communauté, pensent que vous avez été contactée par Dieu. Ou l’un de ses représentants, ce qui revient au même.

 

Angela regarda William, cherchant sans grande conviction un signe chez lui attestant qu’ils étaient en face d’un fou, mais William se contenta de lui rendre son regard avec un aplomb qui en disait long.

– J’ai pu remonter le code source des deux messages que Ö vous a envoyés, dit-il en sortant un bout de papier de sa poche de pantalon.

– Voici son adresse, fit-il en le lui tendant.

– C’est l’adresse de Dieu ?

– C’est l’adresse d’un gamin de douze ans dont Ö se sert pour diffuser ses messages.

– Je ne comprends pas, fit Angela.

– Ö se sert de relais pour diffuser ses messages. Un million pour être exact. Le vôtre s’appelle Joshua Selden et il habite en Californie.

– Comment avez-vous pu avoir cette adresse ?

– Vaut mieux pas que vous le sachiez.

– Vous avez pénétré dans mon ordinateur ? Vous avez fouillé dans mes e-mails ?

– Ma petite dame, tout hacker qui se respecte peut fouiller dans votre boîte mail, visiter votre disque dur et tous vos dossiers confidentiels, s’inviter dans un chat à votre place, bref, prendre le contrôle de votre ordinateur. Les mecs de la NSA passent leur temps à faire ça. D’ailleurs, ils vous ont rendu une petite visite, juste après le second message de Ö.

– Vous en êtes sûr ?

Zed se contenta de la fixer, sans rien dire. Apparemment, ce mec n’admettait pas qu’on mette en doute ses capacités d’informaticien.

– Okay, admettons, finit-elle par dire. Mais comment savez-vous que je suis la première à avoir été contactée ?

– Je me demandais quand vous alliez me poser la question, dit-il dans un sourire. Il se pencha une nouvelle fois vers elle.

– Dans la Communauté, nous travaillons avec une architecture-grille qui nous permet de commuter très massivement en parallèle des ordinateurs dans le monde entier. À l’insu de leurs propriétaires pour la plupart.

– C’est du piratage en somme !

– Du piratage de puissance, pas de données. Nous parvenons ainsi à générer des puissances qui nous rapprochent des super ordinateurs de la NSA ou de la NASA. Nous avons pu lancer une recherche d’antériorité de message chez tous les internautes de la planète. Il n’y a aucun doute : vous êtes non seulement la première à avoir été contactée, mais aussi la seule personne au monde à qui Ö ait adressé un message personnel.

Angela le fixa durant quelques secondes en silence.

– C’est complètement dingue, finit-elle par dire en secouant la tête.

– En effet. Mais vrai.

– Ö s’intéresse aux Skull and Bones, reprit-il. Et si j’étais à votre place, je ferais pareil. Mais un conseil d’ami : faites bien gaffe où vous mettez les pieds, parce que ces mecs-là ne rigolent pas. Et ils ont le bras long.

 

L’Aston Martin dévorait le long ruban d’asphalte de l’interstate 101 dans un silence presque monacal.

Cela faisait déjà bientôt une demi-heure qu’ils avaient quitté Atlantic City pour rentrer sur New York. Angela était depuis le départ plongée dans un mutisme que William ne voulait pas rompre.

– Mais c’est quoi à la fin cette Communauté ? finit-elle par dire d’une voix fatiguée.

– Un groupe très fermé de neuf hackers. A priori les meilleurs au monde. Ils sont tous fichés par le FBI et surveillés par la NSA. Certains ont déjà fait des séjours en prison.

– Pourquoi neuf précisément ?

– En référence à la Communauté de l’Anneau, de J.R.R Tolkien.

– Tu plaisantes !

– Pas du tout.

– Comment tu le connais ?

– Zed ? oh… c’est une longue histoire.

– J’ai envie de l’entendre.

– Je n’ai pas envie de la raconter. Sache simplement que j’ai une confiance totale en lui, en ses capacités professionnelles, mais aussi en l’homme.

Le silence s’instaura à nouveau entre eux, chacun se perdant dans ses propres pensées, ruminant les propos tout bonnement incroyables qui avaient été prononcés par Zed.

La circulation se densifia à l’approche de New York. William changea de voie plusieurs fois, se faufilant entre les véhicules les plus lents, mais cela n’accéléra pas les choses. Lorsqu’ils arrivèrent enfin à Greenwich Village, l’après-midi touchait à sa fin. William rentra la voiture dans le garage, coupa le contact tandis que le portail automatique se refermait sur eux. Une douce obscurité les enveloppa. Ils restèrent assis un moment dans l’ombre, sans parler. Puis William se tourna vers sa compagne.

– J’aimerais travailler avec toi sur cette affaire.

– Est-ce que tu me demanderais de te prendre comme associé ? répondit Angela avec un sourire d’une douceur qui fit fondre le cœur du reporter. Le célèbre William Hartigan voudrait travailler avec moi, c’est bien ça que je dois comprendre ?

– Angela, c’est toi qui as été contactée en premier. C’est toi qui étais à Juarez. C’est ton enquête.

– Qu’est-ce que tu proposes ?

– Déjà, je te promets de ne pas te voler la vedette ; c’est une chose que je ne ferai jamais.

– Je sais, fit-elle en posant la main sur la sienne. Ensuite ?

– Les Skull and Bones… ça me botte bien.

– Okay, pendant ce temps, je vais aller faire un saut en Californie, voir ce jeune garçon.

 

Ils se couchèrent tôt ce soir-là. Ils firent tendrement l’amour et se blottirent ensuite dans les bras l’un de l’autre. Angela sentit son compagnon se relâcher et s’endormir rapidement. Quant à elle, elle mit beaucoup de temps à trouver le sommeil. Elle repassait en boucle les paroles de Zed dans son esprit, ne mettant en doute ni sa parole ni ses compétences techniques, mais ne parvenant pas non plus à intégrer ce qu’il lui avait dit. Ö ne pouvait pas être ce qu’il disait. Ce n’était tout simplement pas possible. Il devait y avoir une autre explication. Mais laquelle ? Le jeune garçon qu’elle allait rencontrer à Los Angeles lui apprendrait-il la vérité ? En son for intérieur, quelque chose lui disait que les choses ne seraient pas aussi faciles. Elle avait l’impression de s’être embarquée dans un jeu de piste aussi dangereux que mystérieux. L’ombre du contrat de Juarez planait encore dans son esprit. Si les Skull and Bones étaient derrière, elle pourrait bien recroiser la mort d’ici peu. Et William aussi.

La nuit était bien avancée lorsque Angela sombra dans un sommeil peuplé de rêves aussi étranges qu’effrayants.

 

 

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