Je papillonne, incapable de garder les yeux ouverts, alors que des torrents de soleil ruissellent sur l’opale des meubles. Il fait trop clair. Je plisse les paupières, agacée par ces jeux de lumière dont tout le monde ne peut s’empêcher de raffoler. Il faut toujours que tout soit blanc, pur, parfait… J’ai l’impression de faire mes premiers pas au paradis et que l’on va venir me juger, moi, avec mes vêtements sombres, mes cheveux noir corbeau et mon regard brun.Je n’en peux plus de ce monde manichéen et de ces formulaires à remplir pour espérer rentrer dans leur petite prison dorée. Je n’en peux plus de me sentir à côté de la plaque, pas intégrée et pas assez bien pour eux.Le Docteur qui se tient devant moi, assis dans son immense fauteuil de cuir beige, a peut-être les réponses à mes questions.<infobulle>Docteur HEALEYÂme sœur: approuvéeMarié, trois enfants.Le reste des informations est confidentiel.</infobu
On m’a reléguée à la salle d’attente. Entre les sièges laissés vides par des patients imaginaires, je laisse mes pensées vagabonder en regardant distraitement les informations qui défilent sur un écran plat, suspendu au mur d’argent qui me fait face.«… une loi édifiante est actuellement débattue par le Comité», explique une journaliste devant un magnifique fond vert.Ils vont bientôt m’injecter Soulmates 2.0 dans le corps. J’ai la tête ailleurs, pleine de ces rêves que l’on m’a arrachés. J’ai hâte qu’on en finisse. Hop, ils me mettent leur substance dans le bras, ils me virent mon million, je fais leurs tests idiots et je file! Aucun problème, je serai sage comme une image, ombre parmi les ombres, rien qu’un cobaye parmi tant d’autres qui n’a qu’une envie: retourner à sa vie d’avant.«Le taux de natalité est toujours au plus bas, même si depuis l’avènement de Soulmates, les choses s’améliorent. Malgré cela, nous sommes toujours
—As, vous allez bien?Les infobulles s’éparpillent dans mon champ de vision alors que toutes les alertes sont au maximum. Mon souffle suit leur cacophonie, alors que j’essaie de comprendre ce qui m’arrive. Ellis me tient fermement contre lui tandis que l’infirmière exige de l’aide dans le couloir. Un instant, j’ai cru qu’il s’inquiétait, mais rien à signaler: il s’agit d’une demande factuelle, un questionnement lié à ma chute.—Vous n’auriez pas dû vous lever, mademoiselle Wheel, ce n’est pas recommandé dans votre cas…Alors pourquoi Ellis est-il debout, lui, hein, capable de me soutenir? Pourquoi est-ce qu’il va bien?iBrain s’efforce de stopper l’effervescence de son propre logiciel: il veut appeler les secours, mais je l’en empêche. Je suis déjà aux urgences. S’il y a bien quelqu’un pour s’occuper de mon cas, c’est Everlasting. Même du sol, je distingue Lizzie en train de faire apparaître mes fonctions vitales sur
Après avoir terminé l’en-cas, je reboote mes systèmes pour être certaine d’être tenue informée des changements de mes constantes. Même si j’ai encore de légers vertiges, je me sens beaucoup mieux. Et j’ai pris une bonne résolution: je vais me servir de ces quelques semaines passées au calme pour redevenir celle que j’étais. Reprendre le sport, la lecture, arrêter l’alcool, aussi. Amusant de voir combien il coule à flots dans une société où nous sommes censés être heureux.J’ai totalement déchanté après la perte de mon travail. Comme s’il n’y avait plus d’espoir. Plus de parents, plus de compagnon, plus de job, que me restait-il? Rien que les meubles de mon appartement et encore… J’ai brûlé tous ceux qui me rappelaient Jaspe. J’ai essayé de rebondir. J’ai passé de nombreux entretiens d’embauche, enduré plusieurs périodes d’essai dans toutes les entreprises possibles et imaginables. Mais tous se confondaient en excuses quand venait sur le tapis la question de la stabil
—À combien évaluez-vous nos chances de survie? s’enquiert Ellis, alors que le cadavre traîne entre nous.Une main sur la bouche, je suis restée assise comme une idiote, incapable de savoir quoi faire. Après s’être suicidée, la jeune femme est tombée de sa chaise face contre terre, attendant qu’on vienne s’occuper de son corps.J’ai fait ce que j’avais à faire, débrouillez-vous bande de débiles. Les doigts de la jeune femme blonde se sont refermés sur mon poignet et quand je m’en rends compte et me tourne vers elle, elle les retire prestement, le rouge aux joues.La sécurité fait son apparition et c’est dans un calme olympien qu’ils nous débarrassent du corps, comme si on leur avait demandé de nettoyer des torchons sales. L’équipe de ménage en profite pour effacer toutes les preuves.La psy observe la scène, avant de ramener tout le monde dans la pièce. Ellis ne la lâche pas des yeux, désireux d’obtenir une réponse. Quant à moi, je n’arriv
—Retournez tous dans vos chambres. Nous viendrons rapidement vous voir.L’ordre de Rey claque et il ne m’en faut pas plus pour faire demi-tour et retourner dans mon cocon. Je n’avais de toute manière aucune envie de faire une«thérapie de groupe»après ce qui vient d’arriver à Hana…Sa vie valait-elle un million de crédits? Et la mienne?L’envie de vomir me reprend quand je repense à son corps tressautant sur le carrelage. Ils vont appeler le peu de famille qu’il lui reste, puis leur expliquer qu’elle est morte… Quels sont leurs mots, déjà? Ah oui,«pour le bien-être des générations futures».Revenue à la case départ, dans ma chambre trop blanche, je me glisse sous le drap d’hôpital. Le lit n’est pas confortable, mais c’est à ce moment-là le dernier de mes soucis, j’ai juste envie de dormir.Avant de m’enfoncer dans le sommeil, je décide malgré tout d’explorer l’application qu’ils viennent
—Comment vous sentez-vous, aujourd’hui? demande le Docteur Healey qui m’a fait l’honneur de venir me voir jusqu’à mon chevet pour constater ma mort.Bon, j’avoue, j’exagère un peu. Les crampes ont continué, le mal de crâne ne s’est pas atténué, mais je n’en suis pas à passer l’arme à gauche.—J’ai connu pire…Même si ma tête menace d’exploser et que j’ai l’impression d’être secouée à chaque fois que je bouge.Ellis s’est éclipsé pour me laisser en compagnie du Doc et de deux infirmiers, qui vérifient (encore) que tout se passe bien en moi. J’ai envie de leur dire de ne pas s’échiner: j’ai fait une recherche sur mon cas, et à part les effets du manque, il n’y a pas grand-chose à signaler.C’est peut-être l’un des bienfaits de ce logiciel. Désengorger les hôpitaux, se contenter d’automédication quand les blessures ne sont pas dangereuses… La certitude, aussi, d’être toujours observé sous toutes les coutures. Grâce à Soulmates, la
Le monde ne cessera jamais de me surprendre. Alors qu’elle vient de découvrir le nom de son âme sœur, elle a déjà eu le temps de se ruer sur Google dans l’espoir de trouver de qui il s’agit. Apparemment pas un jeune cadre dynamique, puisqu’elle est montée voir le Docteur Healey pour exiger un remboursement. Remboursement de quoi, d’ailleurs? Non seulement elle a été payée, mais en plus Soulmates n’a pas pour optique de nous mettre avec l’homme de nos rêves, simplement avec celui qui nous conviendra le mieux pour la vie à deux… et possiblement à trois.Tests d’hormones, de personnalité, sportifs, tout y passe. De quoi nous décrypter et être certain que la personne qui partagera notre vie sera capable de nous supporter, de nous soutenir aussi, et de former le couple parfait pour lequel nous scanderons«éternité».Peut-être que ça ne lui plait pas, mais les faits sont les faits. Maintenant, elle est liée à son âme sœur. Libre à elle de ne pas faire sa