Le coup part et ricoche près de mon oreille pour aller se perdre dans les fourrés dans un écho strident. Je m’arc-boute tout en portant la main à mon tympan en grognant. Harmonie n’en a que le nom: sa tête est en bordel, elle vient de me tirer dessus!—C’était un test? crié-je. Vous auriez pu me toucher!—Comme tu le dis si bien, tu as un truc très intéressant sous le crâne, mais certaines personnes changent soudainement d’avis lorsqu’elles sont soumises à la pression. Sache qu’on va devoir te retirer ce que tu as dans la tête, je n’ai pas envie que de petits génies d’Everlasting se mettent à te pirater.—Je vais mourir si vous faites ça.—Oui, peut-être. Mais nos médecins ont appris à retirer Soulmates, alors je doute que le deuxième leur pose problème. Et puis nous n’avons pas le choix.Je ne veux pas qu’ils me le retirent, c’est ma seule porte de sortie. Tout ce que je vaux se trouve dans mon crân
Je suis en vie.Ça pétarade sous mon crâne, mais je suis en vie. J’ai envie de m’arracher la tête, les yeux, la peau, tout ce qui me compose, mais je suis là, à pouvoir respirer et penser. Alors tout va bien. J’ai l’impression d’avoir un marteau piqueur dans la tête. Je cligne plusieurs fois des yeux, afin de chasser les points noirs qui dansent devant moi.J’entrevois un visage. Je fais le point. On me parle. Les mots sonnent désordonnés.—As?—Hmmm.—Hé, doucement.Après avoir inspiré, expiré, dégluti, je réalise enfin qui me parle. Ellis. Mes yeux font le point vers son sourire timide. Qu’est-ce qu’il fait là? Il me sourit, me parle gentiment. Je suis au paradis, c’est définitif.—Tu es là; toi aussi?J’ai la voix qui tremble, tous les sens en pagaille. Le haut, le bas, le dessus ou le dessous n’ont plus de signification. Si le paradis ressemble à une vieille chambre de garage en bordel
Quand je repose le dossier me dévoilant les grandes lignes de ma mission, je ne me sens pas bien. Ils ne sont pas sérieux? Non, ils ne peuvent pas... Est-ce un test? Une façon de prouver ma valeur, ma volonté de m’intégrer? Est-ce que le but même de cette mission existe? Se jouent-ils de moi?Je reste coite sur mon lit, sans faire le moindre mouvement, abasourdie par ce que je viens de découvrir, par tout ce que ça remet en question et par l’avenir que je vois se créer sous mes yeux, alors que je pensais tout espoir vain.<nostalgie>—Tu seras brillante, As, et tu pourras m’aider avec Soulmates.On regarde les nanorobots vibrer sous l’œil acéré du microscope. Elles me fascinent, ces petites bêtes. Papa croit qu’elles pourront nous guérir, un jour. J’aimerais bien.—Ça, tu vois, c’est le futur, et c’est ce genre de choses que les ingénieurs inventent. C’est pour ça qu’on est utile. Certains pensent que ce
Je vis un rêve éveillé. Mes yeux me brûlent et j’ai l’impression que ma tête va exploser. Les heures passent, ressemblant à des parcelles d’éternité à vivre. Mais c’est normal, d’après Jack. Désactiver certains pans de Soulmates n’a pas été facile et mes pensées s’éparpillent comme un millier de papillons. Il paraît même que certains souvenirs pourraient revenir à la surface, de ceux qu’on oublie et qui nous ont pourtant été chers. J’ai envie de lui dire que je suis bousculée par tout un tas de souvenirs depuis mon arrivée à Everlasting, mais je m’abstiens. Je n’aime pas l’idée d’être comme un cobaye que l’on étudie, ce qui est plutôt ironique, en vue de ma vie ces deux derniers mois.L’envie de chercher Jaspe me ronge. Des ordinateurs intraçables sont à notre disposition, seulement qu’est-ce que ça pourra m’apporter de plus? À la place, je cours sur un tapis de sport mis à notre disposition. Je ne vois plus le ciel depuis deux jours, mais ce n’est pas grave. Je cours, je
À mon réveil, Ellis n’était plus là.J’ai passé trois jours à voguer entre instructions de mission, travail physique et recherches sur Soulmates. Je dois mener à bien la mission qu’ils m’ont confiée. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller, mais je n’ai pas le choix. J’ai essayé d’enfermer mes sentiments pour Ellis dans un coin de mon cerveau, de les repousser le plus loin possible, pour ne plus y penser. Et à la place, je me suis tournée vers Isaac.Volonté propre ou restes de produits chimiques? Je n’en aurai jamais la confirmation, mais je me sens bien avec lui. Il n’est pas parfait, mais qui l’est? Un peu trop franc – oui, c’est possible – et très bavard, il ne semble jamais trouver le temps long quand il parle de Mae. Je ne suis pas sûre qu’il y ait quoi que ce soit de romantique entre eux, tout juste le maigre espoir de pouvoir survivre un jour de plus. Ils se serrent les coudes et semblent se comprendre. L’égocentrisme dont il fait preuve me fasci
À l’étage, je ris de ma bêtise. C’était tellement évident… Nous sommes dans ma petite chambre, celle que je partageais avec les chats lorsqu’ils hantaient encore les lieux. Toute petite, mais tellement lumineuse, les fenêtres mangent les façades de la pièce et l’inondent d’un soleil timide. Les murs blancs, le parquet clair et les meubles en bois sentent le cèdre et je me perds dans les souvenirs que j’ai, alors que petite, je lisais sous la couverture à l’aide d’une lampe torche pour ne pas réveiller mes parents.<nostalgie>—C’est un joli tapis, tu ne trouves pas? demandé-je à papa alors qu’on le dispose dans la pièce.—Oui, dragons et licornes, ça ne m’étonne pas de toi.Il pose sa main sur ma tête et je me gargarise de ce contact. J’aime quand il est d’accord avec mes choix, et puis il s’accorde parfaitement avec les draps-housses parsemés de loups-garous.—Tu en prendras soin, d’accord? Il est important qu’il r
—On la veut en vie! hurle une voix déformée par le choc.J’ai encore une chance de m’en sortir. Je ne sais pas qui ils sont ni ce qu’ils veulent. Je me relève, franchis le canapé alors que les débris crissent sous mes pas maladroits. Je dois en ressortir vivante et apporter ce que j’ai dans le crâne à la Rébellion. Je titube entre les souffles de nouvelles explosions pour atteindre la terrasse. Du sang noir poisse ma vision.Autre bonne nouvelle: je connais le terrain, moi. De la fumée obstrue leur vision et j’en profite. Je m’approche du bord, retiens un haut-le-cœur en avisant le sol cinq mètres plus bas.—Ne bougez plus! hurle l’un des policiers.Je lui jette un regard: il me tient en joue avec ce qui me semble être une arme électrifiée. Pas de balles. Je suis déjà de l’autre côté de la rambarde, les deux mains sur la barre de fer.—Revenez de notre côté sans faire de mouvements brusques!Trois
Mon père? Impossible.Il ne pouvait pas en faire partie. Je… Je l’aurais su. Ma mère l’aurait su… Non? Peut-on cacher ce genre de choses aux gens que l’on aime?Cette pensée me fait l’effet d’une claque.Ce ne sont pas mes mots, mais ceux de Jaspe, ceux que je peinais tant à comprendre quand il ne digérait pas mon mensonge. C’est bien plus facile quand on est de l’autre côté de la barrière, quand on ment. On s’enfonce dans la tromperie comme dans un plaid, c’est doux, agréable et rassurant. Mentir nous permet d’être autre chose, de trouver une autre voie, un autre chemin, une manière alternative de vivre. Mentir est devenue au fil des années mon armure.Et je la tiens de mon père.Sans le savoir, je suis devenue celle qu’il a toujours été, cet être complexe dont nous ne connaissions que les parts de lumière, car en accepter les parts d’ombre aurait été trop douloureux.Fracassée par cette révélation, je n’ose même plus croiser