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Chapitre 9

Chapitre 9

Gustave est pratiquement endormi quand son camarade revient avec « le nouveau ». Il se lève d’un bond, bien décidé à l’accueillir comme il se doit.

Il se retrouve alors face à un jeune garçon au teint pâle et plutôt gringalet, qui se cache derrière Augusto dès qu’il l’approche.

Décontenancé par cette réaction, l’adolescent se redresse et se présente :

– Bonjour, je suis Gustave, ravi de te connaître.

Il attend une riposte, puis se résout à ne pas en recevoir, quand il entend une voix qui marmonne :

– Francisco.

Déjà, le nouveau se détourne et se dirige vers son lit.

Gustave jette un regard empli d’interrogations vers Augusto qui se contente de hausser les épaules, une moue perplexe sur le visage, censée lui signifier qu’il n’y comprend rien non plus.  

Le silence s’installe et, peu de temps après, la respiration de Francisco s’apaise et se fait régulière : il dort. Gustave interpelle alors Augusto :

– Il t’a parlé, à toi ?

– Très peu. Il m’a dit son prénom et il a acquiescé à ce que je lui ai expliqué... Tu aurais vu, il a passé la première demi-heure de la visite à trembler comme une feuille, ça m’a fait mal au cœur pour lui, je te le jure !

– Bon, on va lui laisser du temps. On ne sait jamais, il va peut-être se détendre !

Les deux garçons finissent par s’endormir, la tête pleine d’interrogations devant la bizarrerie de leur camarade de chambre.

Le lendemain, Francisco reste mutique malgré les efforts des deux adolescents pour le dérider. Il les suit de loin en loin, mais évite les contacts, qui semblent l’angoisser. Gustave se demande ce qu’a dû vivre Francisco pour être aussi distant et méfiant.

À l’inverse, il aime beaucoup passer du temps avec Augusto, qui est toujours d’humeur égale. Il manque par moments de finesse, se montre maladroit, mais sa franchise, son naturel et sa bonhomie font qu’il n’est jamais en colère contre lui. Il met chacun à l’aise et semble s’étonner de tout ce qu’on lui dit, de chaque élément nouveau. Le jeune homme a grandi dans la campagne andalouse et se réfère souvent à ce lieu, à ses traditions et ses valeurs. Il décrit son enfance comme « banalement heureuse », avec des parents attentifs, dont une mère qui lui prépare toujours son petit déjeuner, à son âge ! Il a donc peu l’habitude de se dépêtrer seul au quotidien : en comparaison, Gustave a vraiment vécu l’inverse : la ville impersonnelle, un père froid et absent et la débrouillardise comme unique moyen pour s’en sortir...

Pendant les temps de repas et de soirée, il sympathise un peu plus avec Heinrich et Carlos, qui lui racontent des anecdotes cocasses sur les surveillants et les professeurs, et ses fous rires lui arrachent des larmes. Il se tourne également vers Gunther, plus réservé, mais pourtant très amical avec lui.

En revanche, il n’arrive pas encore à s’approcher du petit groupe d’adolescentes qui a un espace bien déterminé au réfectoire. Est-ce qu’on les a placées là, ou ont-elles choisi de se rassembler ? Si certaines jettent quelques œillades dans sa direction, d’autres l’ignorent complètement.

Gustave a toujours été maladroit avec les filles, ne sachant pas comment attirer leur attention sans se mettre dans une situation embarrassante. Pourtant, il aimerait franchir le cap et échanger avec la petite brune ; elle semble avoir trouvé une copine, mais il voit bien qu’elle a le regard perdu dans ses pensées pendant que sa voisine tente de l’intéresser à son récit.

Les jours suivants, l’ambiance est lourde dans la chambre, chargée des mutismes de Francisco. Les adolescents oscillent entre leur préoccupation pour lui et l’envie de faire comme s’il n’était pas là, sans avoir besoin de le solliciter en vain.

Un soir, alors que règne un silence maintenant habituel dans la pièce, Gustave et Augusto sont étonnés d’entendre Francisco murmurer :

– Cisco. Vous pouvez m’appeler Cisco.

Les deux garçons, surpris, se redressent.

– Quoi ? objecte Augusto.

Le silence s’installe pendant quelques secondes, puis la voix fluette résonne de nouveau :

– Ma mère est peintre. Elle fait surtout des portraits... un peu particuliers. Mais très appréciés dans certains milieux. C’est pour ça que je m’appelle ainsi : Francisco. C’est le prénom de Goya, l’artiste, vous savez ? Mes parents pensaient que je deviendrais brillant, comme lui.

Il eut un petit rire triste.

– Mais quand ils ont vu que ce que je valais et que leurs espoirs resteraient vains, comme ils me l’ont dit un jour, ils ont diminué leurs ambitions en même temps que mon prénom. Je suis devenu Cisco, pour eux. Rien. Ou pas grand-chose. Une figure pâle dans leur belle villa colorée de La Plata. Cisco, voilà.

Francisco finit sa dernière phrase dans un chuchotement. Il s’éteint littéralement.

Les deux adolescents restent muets et pensifs à l’occasion de cette confidence. Puis Gustave dit :

– Ben nous on va t’appeler Francisco, et ici tu pourras être quelqu’un à part entière.

– Ouais, rajoute Augusto, qui ne sait pas quoi dire, mais veut se montrer solidaire. Compte sur nous mon gars.

– C’est gentil, mais... ce n’est pas la peine. Vraiment. répond Francisco d’une voix morne.

Puis il s’allonge sur son lit et se tourne contre le mur.

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