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CHAPITRE 11

IML St Gaudens 2018

– Salut, Pierre, bien dormi ? Tes potes t’ont bien tenu compagnie ?

– Couillon, va ! Pour la énième fois et au risque de casser le mythe, non, je ne dors pas avec les morts ! Je ne partage avec eux que mes repas ! Tu veux un café ?

– Merci, mais j’en suis déjà à mon troisième en deux heures. Par contre, je t’ai apporté des croissants et chocolatines. C’est Yannis qui régale, il paraît que demain c’est mon tour, mais je ne sais pas encore pourquoi…

–  Ouh là, ça sent le gros dossier ! Mal à la tête ce matin ? En tout cas, tu le remercieras pour moi ! Vous avancez bien ?

Damien le mit au courant pour les empreintes et l’interpellation en cours. Il arborait un sourire radieux, la semaine commençait on ne peut mieux. Leds mangeait son croissant, lentement, il était d’autant plus désolé de ce qu’il s’apprêtait à lui annoncer.

– Bon, Dam, je ne vais pas tourner autour du pot. Je n’ai pas de bonnes nouvelles. J’en suis à la rédaction, j’ai encore quelques bricoles à vérifier, mais j’ai une quasi-certitude ! Irina Kolienko était déjà morte quand on lui a tiré dessus…

Damien était abasourdi. Il s’assit.

– Je prendrais bien un café, finalement.

Puis, après quelques instants de réflexion…

– Ça voudrait dire, qu’Alexis Vasseur…

– N’a pas tué Irina Kolienko ? Non, puisqu’elle était déjà morte. Bon, tu vas quand même pouvoir lui coller l’intention de donner la mort, et aussi le fait que ce n’est pas cool de tirer sur un cadavre. Mais techniquement, ce n’est pas un meurtrier.

– Tu… tu en es certain ?

 

– Ben, au début, je n’ai eu aucun doute, parce qu’il y avait quand même une belle tache de sang, chacun sait qu’un corps sans vie ne saigne pas, ou alors juste un écoulement diffus. J’ai prélevé le morceau de moquette. J’ai pu évaluer la quantité de sang... je te passe les détails des techniques que j’ai dû utiliser, je sais que tu t’en fous, mais sache que c’est pratiquement un exploit…

Le toubib jeta un coup d’œil à Damien. Il était soucieux, en pleine contemplation de mousse de café. Visiblement, il n’était plus là, perdu dans ses pensées.

– Bon d’accord, tu t’en fous vraiment.

– Non, euh... ben oui en fait. Il le regarda et sourit à nouveau. Allez, continue Einstein.

– C’est triste de bosser avec des gens qui ne comprennent rien à mon talent ; je te l’explique quand même, peut être que ton cerveau atrophié en retiendra une infime parcelle. La quantité de sang était relativement faible, faut savoir que la boite crânienne est une région du corps hyper irriguée, puisqu’à peu près le cinquième du flux sanguin ne sert que pour le cerveau. Si la pompe s’arrête, le sang ne coule plus quand on ouvre la boite crânienne.

– Donc il ne devrait même pas y avoir de tache de sang sur la moquette…

– Oui... Et non ! 

Damien n’avait plus envie de faire d’humour, la tension était remontée. Le médecin continua.

 

– Si tu ajoutes quelques conditions... Tu cumules le fait que la mort vient juste de se produire ET que la tête est en arrière ET que la boite crânienne est ouverte sur une large zone : par écoulement naturel, tout le sang contenu dans les vaisseaux intracrâniens va s’écouler par le simple fait de la gravité. Quand la balle est ressortie, elle a enlevé une pièce de huit centimètres de l’os, composé pour moitié du pariétal et de l’occipital. Les artères, cervicale antérieure, cervicale postérieure, l’artère occipitale et la carotide interne ont été sectionnées en même temps…

– Et alors ? N’oublie pas que je me fous de la technique, Docteur Mabuse.

– Ben, pour la faire courte, les tuyaux sont ouverts, et même si la pompe est arrêtée... Ben, ça coule !

– Voilà, on y arrive. Quand tu veux, tu sais expliquer. Si j’ai bien compris, tu veux dire que tout le sang qui était par terre ne venait que de ce que contenait la tête ?

– Si l’on considère que la victime était déjà morte, oui ! Au décilitre près ! Ce qui est sûr, c’est que la quantité de sang est incompatible avec une mort par balle. Si la victime était vivante au moment de la mort…

Le flic, hilare, fit mine de sortir son carnet.

– Celle-là je me la note, c’est trop bon, faudra que je la ressorte.

Il répéta la phrase en détachant distinctement les syllabes, « si la victime était vivante au moment de la mort ».

– Oui, enfin, tu as compris l’idée. Ah, tu fais chier, si je parle langage technique, j’ai l’impression de parler physique quantique à un élève de CM1, et quand je me mets à ton niveau, tu rigoles comme une baleine.

Puis, prenant un air entre le franchement hilare et le complètement outré :

– Donc, si le cœur fonctionnait encore au moment du coup de feu, il y aurait au moins deux à deux et demie fois plus de sang sur la moquette.

Progressivement, le sérieux revenait. Le médecin continua :

– Au vu de toutes les artères sectionnées, il y aurait eu une hémorragie massive, et non le simple résultat d’un écoulement gravitaire. Maintenant, tu peux te foutre de ma gueule tant que tu veux, ha ha ha, allô Houston, tu as un problème !

Mais Damien n’avait plus envie de rire, le professionnel chassa le potache. Avec gravité, il continua.

– Donc de quoi s’agit-il ? Ce serait un suicide, suivi d’un amant stupide voulant se débarrasser de sa belle en lui balançant une bastos dans la tête ?

– Ben, c’est là que j’ai un problème en fait, j’attends une analyse de confirmation, mais je pense qu’il est impossible que ce soit un suicide…

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