Ne pas réfléchir. Ne pas considérer. Oublier qu’il y a une gamine en train de crever dans un placard à balais. Oublier que le cadavre troué de Leïa m’a regardée m’éloigner dans ce magnifique dédale opalin. Et le soleil, toujours à me narguer avec ses rayons chauds dardés sur moi. Je pleure parce que je ne peux plus arrêter, je pleure parce que je n’ai pas le droit de faire autre chose pour le moment.Je dois me rendre aux cuisines.J’ai besoin d’en parler à quelqu’un, de cracher tout ce que j’ai sur le cœur. C’est con: je n’ai pas le temps pour ça, je devrais courir de toutes mes forces vers la cuisine, mais mon cœur clopine, mes souffles s’égarent, mes pensées divaguent. Je pose une main contre le mur, laisse les traces rougeâtres de la vie de Nora sur les vitres. Je m’en fous qu’on me pourchasse. Je m’en fous qu’on me coure après et que le diable soit à mes trousses. <iMessage: Ellis>—Nora laissée. Cuisine dans cinq minutes
Bonjour, bouche de fusil.Je lève les mains en l’air et lâche le couteau. Je me rends. C’est bon, j’ai assez joué à la fugitive.On est dans ce qui semble être un garage, une sorte de sous-terrain humide. J’aperçois des camions garés derrière les soldats, alors que l’un d’eux détache des menottes de sa hanche et m’ordonne de sortir.—Gardez bien les mains en l’air.Je m’exécute du mieux que je peux, même si je tremble de tous mes membres. Il m’ordonne de me tourner et je prends conscience que je vais mourir ici. Ils vont me déchiqueter, ouvrir mon crâne, bousiller le reste de l’héritage Wheel. J’ai envie de rire face à l’ironie de la chose, mais je ne pourrais sortir que des sanglots. Alors que je l’imagine me passer les menottes, le déchirement d’une détonation me fait tanguer.J’ai envie de vomir.Je m’arc-boute, les mains au-dessus de la tête à cause des vibrations qui retentissent dans mon crâne. Je fais un pas en avant pour me
Isaac est ensuite retombé dans les vapes. Je me suis marrée un moment sur sa phrase: si même la Rébellion ne veut pas de nous, nous sommes bien barrés. J’ai supposé qu’il s’agissait d’une pointe d’arrogance, dont il a l’air bourré. Ellis a terminé de le recoudre et s’est attaqué à sa jambe, mais à part des bleus devenus jaunes, il n’a trouvé aucune blessure inquiétante. Nous l’avons laissé sur le sol, de peur de le bouger et de rouvrir ses plaies.—Et maintenant? l’interrogé-je.—Tu n’es pas fatiguée?—Je suis morte.—Alors dormons et attendons de voir si ce con survit.Je fais le tour du propriétaire: rien à manger, pas d’eau chaude, à peine un filet de boue froide sort du robinet. Il y a bien une chambre, mais le matelas est tellement miteux que j’ai peur de dormir dessus.—Prends le canapé. Et range cette lame, soupire-t-il, ou tu vas te blesser.Je hoche la tête et la cache sous l
J’ai l’impression que les nanorobots cliquètent dans ma tête alors qu’ils se mettent en branle pour soigner ma commotion. Je ne peux m’empêcher de sourire ; Everlasting m’a peut-être sauvé la mise, pour une fois. La douleur reflue lentement mais je garde la tête dans les nuages, une brume désagréable vrillant mes tempes. Un bandeau m’obstrue la vue et aux vibrations que je ressens, je suis dans une voiture. Une voiture, vraiment?<nostalgie>—Ils vont bientôt nous retirer le tracteur, soupire mamie.—Pourquoi? demandé-je, alors qu’on est secoués comme des sacs de pommes de terre.—Trop de pollution, je crois que c’est lié aux moteurs, ma chérie. Mais c’est ton grand-père qui aurait pu nous dire, il s’y connaissait bien en mécanique, tu sais. Il travaillait dans le Glove, il y a bien longtemps. Ce tracteur, c’était le sien, alors j’aimerais le garder encore un peu… même si nous avons l’interdiction de nous en servir. Nous n
Le coup part et ricoche près de mon oreille pour aller se perdre dans les fourrés dans un écho strident. Je m’arc-boute tout en portant la main à mon tympan en grognant. Harmonie n’en a que le nom: sa tête est en bordel, elle vient de me tirer dessus!—C’était un test? crié-je. Vous auriez pu me toucher!—Comme tu le dis si bien, tu as un truc très intéressant sous le crâne, mais certaines personnes changent soudainement d’avis lorsqu’elles sont soumises à la pression. Sache qu’on va devoir te retirer ce que tu as dans la tête, je n’ai pas envie que de petits génies d’Everlasting se mettent à te pirater.—Je vais mourir si vous faites ça.—Oui, peut-être. Mais nos médecins ont appris à retirer Soulmates, alors je doute que le deuxième leur pose problème. Et puis nous n’avons pas le choix.Je ne veux pas qu’ils me le retirent, c’est ma seule porte de sortie. Tout ce que je vaux se trouve dans mon crân
Je suis en vie.Ça pétarade sous mon crâne, mais je suis en vie. J’ai envie de m’arracher la tête, les yeux, la peau, tout ce qui me compose, mais je suis là, à pouvoir respirer et penser. Alors tout va bien. J’ai l’impression d’avoir un marteau piqueur dans la tête. Je cligne plusieurs fois des yeux, afin de chasser les points noirs qui dansent devant moi.J’entrevois un visage. Je fais le point. On me parle. Les mots sonnent désordonnés.—As?—Hmmm.—Hé, doucement.Après avoir inspiré, expiré, dégluti, je réalise enfin qui me parle. Ellis. Mes yeux font le point vers son sourire timide. Qu’est-ce qu’il fait là? Il me sourit, me parle gentiment. Je suis au paradis, c’est définitif.—Tu es là; toi aussi?J’ai la voix qui tremble, tous les sens en pagaille. Le haut, le bas, le dessus ou le dessous n’ont plus de signification. Si le paradis ressemble à une vieille chambre de garage en bordel
Quand je repose le dossier me dévoilant les grandes lignes de ma mission, je ne me sens pas bien. Ils ne sont pas sérieux? Non, ils ne peuvent pas... Est-ce un test? Une façon de prouver ma valeur, ma volonté de m’intégrer? Est-ce que le but même de cette mission existe? Se jouent-ils de moi?Je reste coite sur mon lit, sans faire le moindre mouvement, abasourdie par ce que je viens de découvrir, par tout ce que ça remet en question et par l’avenir que je vois se créer sous mes yeux, alors que je pensais tout espoir vain.<nostalgie>—Tu seras brillante, As, et tu pourras m’aider avec Soulmates.On regarde les nanorobots vibrer sous l’œil acéré du microscope. Elles me fascinent, ces petites bêtes. Papa croit qu’elles pourront nous guérir, un jour. J’aimerais bien.—Ça, tu vois, c’est le futur, et c’est ce genre de choses que les ingénieurs inventent. C’est pour ça qu’on est utile. Certains pensent que ce
Je vis un rêve éveillé. Mes yeux me brûlent et j’ai l’impression que ma tête va exploser. Les heures passent, ressemblant à des parcelles d’éternité à vivre. Mais c’est normal, d’après Jack. Désactiver certains pans de Soulmates n’a pas été facile et mes pensées s’éparpillent comme un millier de papillons. Il paraît même que certains souvenirs pourraient revenir à la surface, de ceux qu’on oublie et qui nous ont pourtant été chers. J’ai envie de lui dire que je suis bousculée par tout un tas de souvenirs depuis mon arrivée à Everlasting, mais je m’abstiens. Je n’aime pas l’idée d’être comme un cobaye que l’on étudie, ce qui est plutôt ironique, en vue de ma vie ces deux derniers mois.L’envie de chercher Jaspe me ronge. Des ordinateurs intraçables sont à notre disposition, seulement qu’est-ce que ça pourra m’apporter de plus? À la place, je cours sur un tapis de sport mis à notre disposition. Je ne vois plus le ciel depuis deux jours, mais ce n’est pas grave. Je cours, je