«Ses yeux pâles me dévorent. Ses diamants me brûlent. Sa lame me déchire les entrailles. Et je souffre. En silence. Soutenant ses pupilles dilatées qui semblent vouloir me happer dans les méandres d’une douleur insoutenable.Je pensais qu’il en avait fini avec cette forme de torture. La plaie avait enfin cicatrisé et était presque devenue un vieux souvenir sous mes doigts. Pourquoi remettre ça maintenant?Lorsque, un peu plus tôt, on m’a jetée dans la pièce sombre, je m’attendais à me retrouver en tête à tête avec l’homme aux yeux vairons. D’habitude ça commence de cette manière, puis les autres arrivent pour observer et prendre des notes. Une routine qui s’est bien installée.Aujourd’hui, je me suis retrouvée nez à nez avec Kraeffer. Il avait l’air de très mauvaise humeur et c’est lui-même qui m’a conduite jusqu’au fauteuil pour me soulever et m’y installer de force. Je me suis débattue, mais la blouse blanche aux yeux vairons est venue en renfort p
dimanche 19 février 2108Le cœur au bord des lèvres, je me réveille en sursaut. Le sang bat vivement le long de mes tempes et je porte une main à ma poitrine dans l’espoir que ce geste m’apaise. J’avais presque cru que les cauchemars finiraient par se lasser de me hanter, mais il faut croire qu’ils sont encore plus tenaces que moi.En tournant la tête, je réalise que j’ai passé la nuit au chevet de Khenzo. Quelqu’un est venu déposer un plaid sur moi et m’a laissé un plateau avec de la nourriture et de l’eau. Un papier plié à côté des couverts attire mon attention. Je me dégage de la couverture légère et tends le bras pour l’attraper.«À manger et à boire. Ceci est un ordre.Régale-toi,Thomas»Le mot, écrit à la main, est accompagné d’un smiley. Son écriture est étonnement belle, droite et affirmée. Ce n’est pas l’image que je me faisais de l’écriture d’un ex-coach sportif et barman. Vive les a priori,
mardi 21 février 2108Hier le Prophète nous a contactés pour m’informer qu’il ne pourrait tenir son engagement pour cette semaine. Il est sur un gros coup et a besoin d’encore un peu de temps pour rassembler toutes les informations et nous les communiquer. Je n’ai même pas eu le temps de revenir sur l’opération qui ne s’est pas aussi bien déroulée qu’espéré qu’il avait déjà coupé la communication, me promettant de me recontacter rapidement pour fixer le rendez-vous de la semaine prochaine. Furieuse, j’ai manqué de peu de balancer la radio à l’autre bout de la pièce, mais devant les regards pesants de mes capitaines, je me suis retenue afin de faire bonne figure.—On va laisser passer pour cette fois, avais-je grogné. Mais la prochaine fois qu’il se défilera de cette manière, je ne le louperai pas.Tous hochèrent la tête, approuvant ma décision. Nous avions tous envie d’entendre les explications du Prophète au sujet de la mission «Le vent tourne&n
lundi 27 février 2108J’attends, debout dans le froid, à l’endroit exact où il m’a donné rendez-vous. Seule, comme il me l’a demandé il y a deux jours, je me balance d’un pied sur l’autre en soufflant sur le bout de mes doigts afin de me réchauffer. Ce putain de Prophète a intérêt à vite se montrer s’il ne veut pas que je lui botte les fesses en bonne et due forme.J’inspecte une nouvelle fois du regard l’endroit où je me trouve. Il s’agit d’un immeuble abandonné en périphérie de Souppes-sur-Loing. Rakia m’a déposée à l’entrée de Dordives en jeep et j’ai fait le reste du chemin à pied; autre demande du Prophète. J’imagine qu’il a fait mettre le trajet sous surveillance pour vérifier que j’étais bel et bien seule.Déjà un peu énervée à l’idée de perdre autant de temps avec des précautions qui me paraissent démesurées, le dernier quart d’heure sous la pluie a exacerbé encore plus mon irritation. Mon frère est censé arriver dans la matinée à Corbeilles et
mercredi 29 février 2108Le réveil matin que j’ai récupéré dans la salle de dépôt me sort d’une nuit de sommeil complète. Ce n’était pas arrivé depuis un moment. Hébétée, je ne me souviens même plus de quoi je rêvais et c’est tant mieux. La veille, j’ai prétexté avoir un entretien par radio avec Belary pour m’éclipser d’une soirée qui s’éternisait, rentrer directement dans mes quartiers et me coucher, harassée de fatigue.Je sors mes jambes nues de sous la couette et m’étire de tout mon long en bâillant. Lorsque mes pieds touchent le sol glacé, je frissonne un moment avant de me lever. Je traverse la chambre lentement, laissant mes mains traîner le long des murs et des meubles. Dans le salon, je savoure un moment la douceur du tapis sous mes orteils avant de me diriger vers la cuisine. Je passe derrière le bar et me hisse sur la pointe des pieds pour ouvrir un placard et sortir un sachet de céréales. Piochant à même le paquet, je contemple mon nouveau c
lundi 19 au vendredi 23 décembre 2107J’avale deux grandes gorgées d’eau pour étancher ma soif, puis lève les yeux vers la vitre crasseuse. Dehors l’obscurité est encore dense, pourtant c’est l’heure de se remettre en route. Je mâche rapidement un abricot sec et bois une dernière gorgée d’eau avant de ranger la gourde dans mon sac.Ma main rencontre les morceaux de tissu noir que j’ai récupérés hier et j’en sors un pour le faire jouer entre mes doigts. Je me demande encore ce qui m’a pris de m’encombrer de ça. Délicatement, je plie le tissu qui va rejoindre les autres. Une fois assurée que tout est bien en place et ne risque pas de se faire la malle, je me relève et sors du magasin qui m’a servi d’abri pour la nuit.De la buée sort de ma bouche lorsque j’expire, ma
«L’image de cet enfant poignardé me hante chaque nuit. Je revois le bras du soldat qui s’abat, encore et encore. Le sang qui gicle. Le sang qui se répand au sol. Le souffle rauque et mourant de l’enfant. Son dernier soupir.Pendant plusieurs jours, j’ai senti l’odeur de son sang sur mes vêtements. Ces connards m’ont laissée mariner dedans jusqu’à ce qu’eux-mêmes ne puissent plus supporter cette puanteur. Ils m’ont alors récurée des pieds à la tête, sous leur jet d’eau savonneuse et glaciale. Mon débardeur et mes sous-vêtements ont été lavés aussi.Alors que je pensais pouvoir enfin trouver quelques heures de sommeil bien méritées, ils ont envoyé un garde taper dans les barreaux des cellules tous les quarts d’heure. Impossible de dormir. Donc je suis là, fixant le plafond de ma cellule à maudire mon geôlier et m’imaginer lui faire bouffer sa matraque jusqu’à la poignée. De toute façon, j’imagine qu’ils vont bientôt venir me chercher.En effet, la porte fini
mardi 27 au vendredi 30 décembre 2107Plusieurs fois, Djibril leur a dit de me laisser tranquille. À chaque fois, ils sont revenus, plus déterminés que jamais à me faire cracher je ne sais quelle vérité.L’épreuve de la baignoire n’a rien donné, pourtant ils m’y remettent de temps en temps. Sûrement pour passer leurs nerfs. Les miens sont mis à rude épreuve; le manque de sommeil, la douleur… parfois je me dis que je suis à deux doigts de craquer. Dans ces moments-là, je me sens happée par une brume blanchâtre, flottant entre deux eaux; celle trouble, qui m’attire dans les méandres de mes cauchemars et celle claire, qui me délivre de mes peurs.Pour l’instant je suis embourbée dans une mélasse infâme où des aiguilles me transpercent de part en part.—Attends, regarde, elle est mal mise, entends-je au loin. Si tu la mets avec cet angle, ça ne fait pas grand-chose, par contre, comme ça…Je tressaille et étouffe un cri de douleur